J'étais un peu impressionné avant de réaliser cette interview. Je ne rencontre pas tous les jours le directeur général d'une entreprise ayant levé 40 millions d'euros et qui fait pédaler des millions de personnes à travers une dizaine de pays. Heureusement, Benoît m'a très rapidement mis à l'aise et j'ai pu poser toutes les questions que je souhaitais.
Plus qu'une entreprise, j'ai surtout découvert un "système vélo". Benoît Yameundjeu, DG de Fifteen, m'a expliqué en détail ce qu'était un "réseau vélos augmentés". Loin des slogans marketing qui peuvent parfois polluer la communication autour de la mobilité à vélo, ces réseaux ont commencé à profondément modifier l'approche qu'ont les villes de leurs politiques cyclables.
Pour l'anecdote, je pensais surtout parler des vélos Fifteen et de leurs caractéristiques si particulières, mais finalement on a eu une discussion sur les solutions de mobilité à vélo. La vocation et l'ambition de Fifteen m'ont passionné. Bonne lecture.
Je m’appelle Benoit Yameundjeu, je suis Directeur Général de Fifteen, une entreprise française spécialiste des systèmes de vélos partagés. Je me déplace exclusivement à vélo entre Paris et Lyon, où nous avons nos deux bureaux principaux, tantôt à Vélib tantôt en Brompton - plus pratique à mettre dans le TGV.
Fifteen est le fruit du rapprochement de Smoove et de Zoov, deux acteurs du vélo partagé, présents sur le marché français et international depuis 2017.
En 2021, ces deux acteurs ont décidé de se lancer dans une nouvelle aventure et d’unir leur force.
Pour te donner une idée de Fifteen en quelques chiffres : 140 collaborateurs, 60 recrutements en cours, 50 000 vélos déployés dans 30 villes à travers le monde et récemment une levée de fonds de 40 millions d’euros auprès de fonds d’investissement qui encouragent les projets à impact.
Au-delà de ces chiffres, Fifteen c’est avant tout une vision forte pour la mobilité et pour l’organisation du territoire. Quinze minutes pour accéder à tous les services essentiels de la vie : santé, éducation, loisirs, travail.
On pense qu’on peut vraiment aider les villes à être plus humaines et apaisées, en laissant davantage de place à la mobilité durable et à la mobilité active.
Chez Fifteen, on y croit, on est convaincus que c’est possible dans une grande partie des territoires. Il faut pour ça une véritable volonté politique et aussi des systèmes de mobilité performants, comme nos Réseaux Vélos Augmentés.
“Les Réseaux Vélos Augmentés”, c’est un concept maison. Ce sont des réseaux de vélos qui vont chercher à “casser” les frontières entre les usages et les territoires. Ils permettent de répondre aux contraintes des mégalopoles comme des petites villes, des hypercentres comme des périphéries. Ils transforment une addition de services vélos comme les vélos en libre-service, les vélos en location longue durée, les vélos en gare ou les vélos touristiques… en un réseau cohérent et interconnecté avec les transports publics existants.
Ils ne se limitent pas à un usage précis : l'utilisateur peut prendre un vélo pour un trajet, pour un mois ou pour un an, grâce à notre technologie embarquée.
Enfin, ces réseaux récoltent des données lors des trajets. Elles aident les décideurs locaux à comprendre les flux de trafic sur le territoire. Ils peuvent alors adapter le réseau et les projets d’infrastructure en fonction des comportements réels observés.
Ces Réseaux Vélos Augmentés matérialisent notre engagement pour accélérer le report modal de la voiture vers le vélo. Je crois que c’est indispensable pour freiner le changement climatique.
Tout simplement quelques-uns des principaux défis de notre époque ! Au premier rang desquels, la pollution atmosphérique due à l’explosion du moteur thermique. Mais aussi, la congestion urbaine avec les problèmes d’encombrement de l’espace public et de nuisance sonore qui y sont liés. Et enfin toutes les problématiques de santé publique liées à la sédentarité. Ce sont tous ces problèmes qu’on adresse quand on cherche à généraliser le report modal vers le vélo.
Enfin, en démocratisant le vélo et notamment le vélo électrique, nous cherchons à réduire la fracture entre les territoires, à dynamiser les villes moyennes et les zones peu denses, à rapprocher les périphéries des centres urbains.
Et bien sûr, au-delà de ces sujets majeurs, Fifteen porte dans son ADN une conviction profonde, celle de “la ville du quart d’heure”. Dans cette optique, nous adressons aussi les problématiques du rythme de vie effréné, en promouvant une ville apaisée et le mieux vivre ensemble, comme je t’en ai déjà parlé juste avant.
Dans les grandes villes comme Paris, Helsinki, Vancouver, notre client est la société exploitante du service ou l’opérateur de transport public, qui travaille au service de l'autorité organisatrice de mobilité locale.
Quand la ville est moins grande, comme à Landerneau ou Epinal par exemple, c'est la collectivité qui est notre client direct. Elle exploite directement son service de vélo clés en main.
Les territoires que nous adressons peuvent donc être des hypercentres urbains, comme des villes moyennes et des territoires peu denses car nos solutions sont flexibles et modulaires : une même plateforme de gestion et un même vélo peuvent servir à la fois à des systèmes en libre-service, et à des systèmes de location courte, moyenne et longue durée, en station et en free floating.
Cependant, chez Fifteen, notre objectif est d’encourager le report modal vers le vélo, c’est donc d’offrir une qualité d'expérience si élevée d’un service public de vélos que nous arrivons à convertir massivement les citoyens en cyclistes. C’est vraiment la satisfaction du client final, l’utilisateur, qui guide notre travail.
À mon avis ce qui a vraiment changé, c’est d'abord l’arrivée du vélo à assistance électrique. Il permet de parcourir des distances plus longues, de faire passer plus de monde au vélo et de faire exploser la dynamique du vélotaf.
Ensuite la connectivité a également fait évoluer le secteur. Cela permet d'offrir une expérience augmentée de la mobilité pour les usagers avec des services à forte valeur ajoutée comme la géolocalisation, le suivi d’itinéraire GPS, ou la possibilité d’intégrer un trajet vélo dans un parcours multimodal grâce au MaaS. Pour les collectivités, ça permet d’obtenir de nouvelles données pour mieux comprendre les déplacements et repenser l'organisation de la ville.
Et enfin, une chose qui avait changé mais qui revient en force : c’est la station ! Le free-floating a explosé mais les villes ont besoin d'organiser l'offre de vélos partagés. Les stations peuvent maintenant être physiques ou virtuelles, mais les stations physiques sont indispensables pour la recharge.
Chez nous, en revanche, ce qui n’a jamais changé c’est notre volonté de développer des services vélos cohérents, en concertation avec les collectivités, en lien avec les autres modes de transports, en bonne intelligence avec tous les usagers de l’espace public.
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La conviction de Fifteen c’est que le vélo en libre-service -seul- n’est pas une solution. Par esprit de provocation, j’ai même l’habitude de dire “Le vélo libre-service est mort”.
Le libre-service croît, c'est vrai, mais reste une solution réservée aux assez grandes villes car historiquement coûteux et moins adapté aux territoires moins denses.
La valeur ajoutée de Fifteen c'est de définir, avec les collectivités, les types de services vélo qui font le plus de sens pour elles en fonction de leurs caractéristiques, et d'offrir une plateforme technologique permettant d'adresser n'importe quel usage avec un seul et même vélo électrique connecté, et une infrastructure légère.
Par exemple, une collectivité n’aura plus à choisir entre différents opérateurs pour plusieurs cas d’usage. Fifteen peut leur proposer un service prenant en compte de la location courte, moyenne et longue durée.
Je propose de tourner la chose différemment : quels sont les facteurs clés qui font que les villes moyennes se lancent ? Tout part de la volonté politique. Si les élus, et en particulier la ou le Maire, veulent s’engager, cela avancera.
Ensuite il y a les financements. Si les services de VLS étaient davantage éligibles aux subventions de l'Etat via les divers appels à projets type AVELO, beaucoup plus de villes se lanceraient.
Enfin il faut des responsables mobilité et chefs de projet pour mener les projets à bien. À notre manière, on essaie de lever les freins en sensibilisant les élus sur les bienfaits de voir grand pour les services vélo sur leur territoire, et en faisant des recommandations de déploiement très tôt dans les discussions, sur la base des données du territoire.
Pour autant, je suis assez optimiste. Il se passe vraiment quelque chose dans les villes moyennes. De premières collectivités assez pionnières se sont lancées et on constate un effet boule de neige dans certaines régions, notamment en Bretagne ou dans le Grand Est. En Bretagne en particulier, Landerneau, ses 15 000 habitants et son service de VAE en libre-service Ti Vélo sont devenus le centre de beaucoup d'attentions localement avec les visites de plusieurs délégations de villes bretonnes de taille moyenne. C'est de bon augure pour le développement des services vélos dans toutes les villes, en Bretagne et au-delà. Ce qui est assez marquant aussi, c'est à quel point les agglomérations de taille moyenne adhèrent à la complémentarité des usages entre libre-service, pour la courte durée, et location personnelle moyenne à longue durée. De plus en plus de marchés associant les différents usages vont être lancés dans les prochaines années, c'est certain. C’est le sens de l’histoire.
Au global entre la pandémie, le dérèglement climatique, les prix à la pompe à essence, et la volonté croissante des élus de promouvoir les modes actifs, il y a une conjonction de facteurs qui font que nous sommes en plein momentum pour le développement du vélo.
Sur le plan sanitaire à lui seul, à Bordeaux et au sud de Paris, territoires historiques de Zoov, 70% des usagers ont déclaré avoir davantage l’intention d’utiliser le vélo compte tenu du Covid.
En même temps, la demande pour le vélo explosant, le sourcing des pièces est un vrai challenge. Nous avons la chance d'avoir une grande expérience de la fabrication de vélos et de bonnes relations avec les fournisseurs, ce qui nous permet de sécuriser notre approvisionnement et d'être en mesure de déployer plusieurs milliers de vélos dans les 18-24 prochains mois.
La filière vélo est en pleine renaissance, elle est même en pleine restructuration. Le rapport parlementaire de Guillaume Gouffier-Cha a souligné l'intérêt économique de développer une filière forte en France, et Fifteen fait partie des acteurs prenant le sujet très au sérieux. Aujourd’hui l’ensemble de notre R&D et de notre conception est mené en France, une partie de notre production est également réalisée en France, c'est le cas pour tout notre mobilier urbain et pour une bonne partie du Vélib'.
Ce sujet de la relocalisation fait d’ailleurs partie des objectifs clairement affichés de la levée de fonds que nous venons de boucler et nous travaillons déjà avec des partenaires industriels, notamment issus de l’industrie automobile, pour assurer l'assemblage de Fusion (le vélo multi-usages au cœur de notre offre) en France d'ici quelques mois.
Dans l’état actuel du monde, je ne vais pas vous mentir, il sera quasiment impossible d’atteindre les 100% de fabrication française. Nous travaillons sur des produits embarquant de l’électronique qui nécessitent des composants aujourd’hui quasi exclusivement produits en Asie. En revanche, 80% de la fabrication peut tout à fait être localisée en France. Et s’il faut envisager de revoir certains aspects de la conception de nos vélos pour qu’ils puissent être produits en France de manière compétitive, sans compromis sur le confort, la sécurité et la robustesse, nous sommes prêts à le faire.
Notre ambition, comme je l’ai dit plus tôt, c’est avant tout de réduire les émissions polluantes et les nuisances liées à la mobilité, améliorer la santé des citoyens, agir en faveur de l’inclusivité des territoires.
Mais sur le sujet de la transition écologique, notre ambition va bien au-delà du simple fait de remplacer des voitures par des vélos. Nous avons réalisé le bilan carbone complet de notre activité et fixé une feuille de route pour minimiser les émissions de CO2 qui y sont liées, à toutes les étapes : de la production du matériel à la façon dont il est exploité par nos partenaires.
Nous avons déjà la plateforme technologique permettant d'adresser le plus large éventail d'usages du marché. Je ne peux pas en dire plus aujourd'hui, si ce n'est que notre solution – vélo, stations, logiciel – n'a pas fini de gagner en modularité. Toujours avec le même objectif : permettre de déployer les services vélo qui apporteront les meilleurs résultats sur chaque territoire.
C’est une question qu’on nous pose souvent car nos vélos ont leurs adeptes !
Malheureusement, à ce jour il n’est pas possible d’acheter un vélo Fifteen, ni neuf ni d’occasion. En revanche, il est tout à fait possible d’en louer un sur de la longue durée, et dans ce cas précis, c’est tout comme s’il vous appartenait sauf que vous n’avez pas à l’entretenir ni à le racheter si on vous le vole !
Plus sérieusement, la fin de vie de nos vélos est un sujet que nous prenons très au sérieux et, pour dire vrai, nous n’avons pas encore trouvé de réponse totale. À ce jour, nous avons mis en place des partenariats locaux avec des associations - comme à Clermont Ferrand et dans les Hauts de France- pour reconditionner nos vélos, les adapter à un usage privé, et les offrir ou les vendre à un prix symbolique à des gens qui en ont besoin.
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